Lieu scénique élisabéthain

 

« Entre le milieu du XVIe siècle et 1642 (date de l'interdiction des théâtres par les puritains), l'Angleterre voit se développer un théâtre populaire où s'illustrent Marlowe, Shakespeare, Ben Jonson, John Ford, etc. Né dans les cours des auberges, joué en plein jour, en plein air, il évolue très vite vers des bâtiments spécifiques, situés en marge de la ville (le théâtre n'a jamais eu bonne presse) et réservés au divertissement.

Dans un premier temps, les comédiens adossent leurs tréteaux à l'un des côtés d'une galerie : les spectateurs les plus riches sont placés dans les trois autres galeries et les moins riches se tiennent debout dans la cour.

Les premiers théâtres de Londres sont d'abord en structures de bois légères, avant d'être construits en dur. Ils doivent à leur forme circulaire ou elliptique, qui rappelle le théâtre en rond médiéval, leur surnom de Wooden O (« O en bois »), donné par Shakespeare au Globe dans sa pièce Henry V. Une estrade part de la scène adossée aux galeries pour aller jusqu'au milieu du parterre (de la cour) et permet véritablement aux acteurs « d'entrer au contact », avec le public populaire. La scène, protégée par un auvent, peut être masquée par un rideau, et deux portes donnent accès aux coulisses (et à l'espace du hors-scène, où se jouent les moments les plus secrets des drames et se dissimulent les personnages).

Au-dessus, à côté des bancs des spectateurs privilégiés (qui sont là pour paraître ; ils voient donc les acteurs de près mais de dos), le premier étage de la galerie fonctionne comme un autre espace (upper stage) : c'est le balcon de Juliette, ou le lieu des discours pompeux (de Brutus par exemple). Enfin, un orchestre joue au second étage de la galerie et fait souvent partie du jeu et de la fiction. 

[...]S'il est scénographiquement une conséquence du théâtre médiéval, il est aussi une pièce majeure dans l'invention des dispositifs modernes : parce qu'il se joue sur plusieurs lieux distincts et dans un rapport étroit avec le public, le théâtre élisabéthain servira de modèle à de nombreuses mises en scènes du XXe siècle.»

 

Christian Biet : L'espace théâtral : un lieu de partage, TDC, CNDP, 1999

 

"Ce dispositif original instaure une relation étroite entre public et acteur permettant grâce à l'avancée du proscenium dans l'espace des spectateurs une proximité physique immédiate, il favorise un rapport de connivence qu'on perçoit dans l'écriture des pièces. Les adresses au public, les apartés et les discours par lesquels les personnages exposent leurs intentions (le Richard III de Shakespeare en offre de nombreux exemples)  témoigne de la complexité crée entre la scène et la salle.

La polyvalence de ce dispositif multiforme permet de suggérer des espaces différents sans recourir à des décors encombrants. Il permet aussi aux effets scéniques de se développer dans les trois dimensions sans parler du mélange des registres qui l'autorise. iI offre une permanente multiplication des points de vue par les uns les les incessants changements de lieu qu'ils suscitent, il transporte instantanément les spectateurs d'un champ de bataille à une alcôve, de la plat-form où se déroulent les mouvements de la foule à l'espace clos d'une prison, du recess où se tiennent les affrontements politiques à la chamber réservée aux scènes de la vie privée.

L'action y gagne en souplesse et en rapidité l'alternance des scènes d'ensemble et de ces sortes de gros plans que constituent les séquences plus intimes annoncent, comme le remarque Peter Brook, le découpage  cinématographique. Le lieu théâtral ne suffit pas à susciter la prodigieuse éclosion d'une dramaturgie géniale mais il y contribue grandement."

 

Michel Pruner , La fabrique du théâtre

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