Lieux scéniques au 19ème siècle

 

La mise en scène du drame romantique

Au XIXe siècle, le drame romantique tente de résoudre la contradiction entre la multiplicité des lieux de l'action et l'unité du cadre à l'italienne. Victor Hugo expose ces principes dans la Préface de Cromwell (1827) et met en scène des décors détaillés, comme dans Le Roi s’amuse (1832). Chaque élément du décor sert la dramaturgie, comme le mur fissuré permettant à un personnage d'espionner une scène cruciale.

La définition du vraisemblable évolue : au XVIIe siècle, un décor minimaliste suffisait à situer l'action, alors qu'au XIXe, le visuel devient central. Victor Hugo critique le théâtre classique, où l'action repose sur des dialogues plutôt que sur des scènes visuelles :

"Au lieu de scènes, nous avons des récits ; au lieu de tableaux, des descriptions. [...] On commence à comprendre de nos jours que la localité exacte est un des premiers éléments de la réalité."

Vers une fusion entre réel et théâtre

Avec le théâtre réaliste et la comédie bourgeoise de la seconde moitié du XIXe siècle, l'illusion de réalité atteint son apogée. Le texte dramatique devient une description précise de la mise en scène à venir, et la représentation suit le texte à la lettre. L'acteur incarne un être dont la psychologie est définie avant même qu'il prenne la parole.

Cette tendance culmine dans la perception du réel comme spectacle, illustrée dans Le Comte de Monte-Cristo (1844-1845) d'Alexandre Dumas. Un personnage y affirme qu'un procès est "plus curieux qu'une tragédie factice", car il présente des douleurs réelles, réduisant ainsi la distance entre représentation et réalité.

 

Le Café-Concert

L'Opéra Garnier

Christian Biet et Christophe Triau analysent l'édifice dans leur ouvrage  Qu'est-ce que le théâtre ? Bien que la salle soit consacrée à L'Opéra, on y trouve tous les éléments qui vont fixer une certaine vision du lieu théâtral au 19ème.

 

La construction de l'Opéra Garnier, est une aventure à la fois urbanistique et spectaculaire menée par Napoléon III et le préfet Haussmann.

Le jour de la présentation des plans au concours d'architectes, l'impératrice Eugénie, favorable à Viollet-le-Duc, apostrophe Garnier : « Quel est donc ce style ? Ce n'est pas du grec, ni du Louis XV, ni du Louis XVI ! ». Charles Garnier répond : « C'est du Napoléon III et vous vous plaignez ! ». L'empereur murmure à Garnier : « Ne vous en faites pas, elle n'y connaît rien ! ». L'anecdote est-elle vraie ? toujours est-il que le style Napoléon III était né !

 

Charles Garnier (1825-1898) est Premier Grand Prix de Rome en 1848. Son projet est retenu à la surprise des grands architectes « installés » et au désespoir de Viollet-le-Duc qui comptait bien l'emporter.

La construction s'étale sur près de quinze années, de 1861 à 1875. La percée de l'Avenue de l'Opéra oblige à la démolition de tout un quartier. La guerre avec la Prusse puis la Commune interrompent les travaux et l'inauguration définitive a lieu en 1875 en présence du président de la République Mac-Mahon.

L'ensemble possède une surface de plus de 11.000 mètres carrés utiles (la plus grande du monde à l'époque et jusque dans les années 1970), 172 m de long, 101 m de large et 79 m d'élévation. Par contre, il ne dispose que de 1 156 places.

 

« La coupe transversale de l’Opéra Garnier permet de fixer quelques éléments relatifs au vocabulaire scénographique et l’on se concentrera, pour ce faire, sur le cadre de scène. Mais avant cela, on remarquera que la scène n’occupe qu’une petite partie du bâti­ment. En effet, un lieu prestigieux comme l’opéra, dès le 18ème siècle, est d’avant tout un lieu d’apparat et de rencontre.

Pour décrire cette image, on imaginera, tout d’abord, que l’extrême droite figure la façade du bâ­timent, précédée d’un imposant escalier extérieurqui donne directement sur la place de l’Opéra, amé­nagée pour l’occasion et située dans le prolonge­ment d’une longue avenue (l’avenue de l’Opéra) et au croisement de deux des Grands Boulevards. Autant dire que le lieu est parfaitement choisi et correspond à un projet urbanistique qui fait de cette salle un « grand monument », en même temps que le centre d’un quartier. Vu de loin, prestigieux, luxueux, l’Opéra Garnier marque la ville, investit un quartier neuf qui, sous le second Empire, se crée afin de lier le centre de la capitale aux quartiers jusqu’ici retirés ou périphériques et à une petite ville, que Paris absorbe, Montmartre. La taille de ce bâtiment est imposante : 172 m de long, 101 m de large, 79 m de haut.

Juste derrière la façade (1), superbe, parsemée de statues (de Carpeaux notamment), travaillée dans le goût du temps et complétée par une loggia à colon­nes corinthiennes, on a donc le grand foyer (2) de 54 m de long, 13 m de large et 18 m de haut, et les galeries destinées à recevoir le public lors des en­tractes et des réceptions.

Le  pavillon de l’empereur est directement lié à sa loge, dessin de Charles Garnier.

La particularité de l’Opéra Garnier ? C’est le « pavillon de l’empereur »! Une installation qui assure à la fois sécurité et discrétion. Condition sine qua none pour Napoléon III suite au traumatisme de l’attentat qu’il a subi à l’opéra Pelletier. Situé rue Auber, ce pavillon possède une double rampe d’accès. Le but ? Que l’empereur et ses proches puissent accéder au bâtiment sans descendre de leur carrosse ! Le comble est qu’il n’a jamais pu l’utiliser. En effet il meurt en exil avant même de voir la fin de la construction. Aujourd’hui cet accès est donc réservé au président de la République.

Situés au premier étage, éclairés de fenêtres qui donnent sur la place, déco­rés de peintures murales, les galeries et le grand foyer sont les endroits où le public peut se voir, s’ad­mirer, jouer un spectacle social pour lequel il vient là. L’entrée principale se faisant sous le foyer, on ac­cède au foyer, d’un côté, et à la salle, de l’autre, par le grand escalier (3), au-dessus duquel un énorme dégagement ornementé permet d’ouvrir un espace de grand volume.

 

La salle est un troisième espace (4), surmonté d’un grand lustre de cristal (on notera la cheminée pour l’évacuation des fumées avant l’élec­tricité) et couvert d’un plafond peint (par Chagall, maintenant). En rouge et or, avec cinq étages de lo­ges, une série de fauteuils d’orchestre et de fauteuils de corbeille (en tout 2 156 places), la salle doit symboliser le luxe qui, conventionnellement, mar­que le spectacle lyrique et la danse dans un lieu de prestige.

Entre la scène et la salle, la fosse d’orches­tre (5), en contrebas (avec un praticable surélevé pour le chef d’orchestre que le public voit de dos), permet à la musique, tournée vers le public, de se répandre et d’inonder la salle. Enfin, derrière la cage de scène et communiquant avec elle, le foyer de la danse (6) avait pour objet de réunir les danseurs, les choeurs, et souvent ceux qui souhaitaient les voir, pendant que les chanteurs étaient en scène.

Tout est dans la démesure à l’Opéra Garnier. Sa gigantesque scène pourrait contenir l’arc de triomphe (oui rien que ça !) ! Inspiré des scènes à l’Italienne, Charles Garnier incline la scène de 5% vers les spectateurs. Qu’est ce que ça veut dire ? Tout simplement qu’entre l’arrière de la scène et l’avant il y a une différence d’un mètre ! Cette inclinaison du plateau permet d’offrir une meilleure visibilité aux spectateurs.

Une scène traditionnelle À l’Opéra Garnier, la cage de scène (7) est de 26 m de large, 52 m de profondeur et 60 m de haut. La  « scène », telle qu’on a l’habitude de l’entendre et à partir de laquelle la plupart des théâtres des XIXe et XXe siècles sont construits, se distingue de la salle et désigne l’aire de jeu et les services de proxi­mité.

L’espace de la scène comporte plusieurs par­ties : l’avant-scène (ou proscenium) (8), le plateau proprement dit (9), l’arrière-scène (10), les dégage­ments scéniques et les coulisses (11). À partir du point de vue du spectateur, on définit le côté droit en parlant de « côté cour » et le côté gauche en disant « côté jardin » -, l’appellation vient de la salle des machines des Tuileries, entre cour et jardin ; en An­gleterre, on dit prompt side pour la cour (du côté du souffleur) et opposite prompt side pour le jardin -, le fond devient « le lointain » et l’avancée « la face ».

 

La « cage de scène » (ou « bloc de scène »), sur ses trois côtés, est alors délimitée à la face par un « cadre de scène », au lointain par le mur de scène (12) (précédé de décors, de toiles de fond ou du cy­clorama) et latéralement par les murs de scène (13) (qu’on peut masquer par des décors sur châssis, des pandrillons - tissus verticaux masquant les déga­gements latéraux -, des toiles).

 

Le cintre : Le cintre (14) - qui n’était auparavant que les combles et la charpente du bâtiment - est devenu, au 19ème siècle, un espace essentiel pour la machinerie (15), avec une hauteur au moins égale à celle de la hauteur du cadre de scène. Il est composé des corri­dors ou passerelles (16) - de charge (en haut), de service (au milieu) et de commande (à hauteur du manteau d’Arlequin) -, du pont-volant (au-dessus de la scène), du pont-lumière et de la herse (17) (der­rière le manteau d’Arlequin), sur lesquels sont une partie des lumières, des rideaux de scène et de fer (18), et du gril(19) - structure en fer au-dessus de la cage de scène sur laquelle les décors, les lumières, les machines, les ponts et autres accessoires sont placés.

 

Le cadre de scène : Le cadre de scène définit la zone clé de la repré­sentation qui est la séparation, le contact ou le rac­cordement de la salle et de la scène. Né des nécessités, au 16ème siècle italien et au 17ème siècle, de masquer la machinerie et d’accentuer l’effet de pers­pective, l’encadrement de la scène a pu donner lieu à diverses solutions : de l’arc de triomphe aux colon­nes majestueuses en passant par une intrication des loges d’avant-scène dans l’espace du cadre. Durant la seconde moitié du 17èmesiècle, le cadre de scène de­vient une coupure figurant le quatrième mur théo­risé par Diderot. Rideau systématique, rideau de fer ensuite (pour préserver l’ensemble du bâtiment des incendies), manteau d’Arlequinavec frise, draperie transversale ou demi-rideau brechtien plus ou moins diaphane, tout est fait pour insister sur la différence essentielle entre la fiction et les spectateurs.

 

Le rideau : Le rideau cache, puis dévoile, l’espace de fiction longtemps construit par la perspective. Dès le 16ème siècle italien, dès le début du 17ème siècle en France, le rideau d’avant-scène est là pour révéler le décor aux spectateurs et insister sur la stupeur que l’illusion souhaite lui donner ; durant les représenta­tions, il n’apparaît pas et les changements de décor, lorsqu’ils existent, se font à vue.

Le rideau qu’on « appuie » (lève) ou qu’on « charge » (baisse), qui ferme la scène au début, à la fin du spectacle, mais aussi à l’entracte, à la fin de chaque acte, et parfois pour marquer le changement de lieu et de temps dans le cours de la fiction, date plutôt du 19ème siècle. Il est en principe en toile dure, peint à la manière d’un vrai rideau rouge et or, et peut être complété d’un lambrequin dans sa partie supérieure qui, lui, reste fixe (sorte de manteau d’Arlequin, donc).

De nos jours, c’est plutôt un véritable rideau drapé (40 pour cent d’étoffe supplémentaire par rapport à l’ouverture de scène ou à la largeur du cadre), en ve­lours noir, bleu nuit ou rouge (au 17ème siècle il était bleu), et lourd pour insister sur la séparation du réel et de l’imaginaire, estomper les sons et absorber la lumière. Les techniciens ont même inventé une « bavette » (la bande d’étoffe inférieure générale­ment flottante) qui se couche sur la scène lorsqu’on « assoit » le rideau (« appuie » le rideau) pour mas­quer tout interstice visible par le public.

On peut ouvrir le rideau « à l’allemande » en l’« appuyant » verticalement, « à la grecque » en l’ouvrant par le milieu pour le faire glisser directement sur les côtés grâce à une « patience » située dans le cintre, « à l’italienne » en ouvrant sur le milieu mais en le rele­vant en diagonale pour donner un effet de drapé en accent circonflexe, ce qui le laisse très présent en haut du cadre, ou encore « à la française » en com­binant simultanément les manières italienne et alle­mande.

Enfin, un espace restreint est ménagé entre le rideau et la scène, de façon à ne pas coller les dé­cors à la rampe (21), ce qui est techniquement né­cessaire, à permettre un éclairage transversal à partir des côtés, et à donner aux comédiens la possi­bilité d’utiliser ces espaces pour leurs entrées et leurs sorties. Cet espace intermédiaire est souvent li­mité à l’arrière par un second cadre (cadre mobile, draperie mobile ou manteau d’Arlequin), ce qui per­met de reconcentrer le regard du spectateur.

Cependant, on notera que la mise en scène con­temporaine se passe souvent du rideau, voire du ri­deau de fer, et laisse ouvert le lieu scénique à la perception du spectateur, cela dès son entrée dans la salle. On évite de la sorte l’effet de quatrième mur en précisant que la pièce ne construira pas un espace dramatique illusionniste, mais sera, avant tout, une performance se donnant comme telle.

[…]

Enfin, on pourra utiliser le rideau autrement, cette fois comme décor, en sachant qu’il garde tou­jours sa signification référentielle d’origine (nous sommes au théâtre, donc il y a un rideau qui mon­tre, cache et sépare).

 

Le manteau d’Arlequin Le manteau d’Arlequin (20), appelé ainsi parce que le personnage faisait ses entrées par la coulisse si­tuée entre le rideau de scène et la draperie mobile, est constitué de deux montants verticaux et d’une frise horizontale, généralement en draperies peintes.

 

La scène  Dans le cas de cette scène traditionnelle à l’ita­lienne, la hauteur de la cage de scène permet donc l’installation, en fond de scène ou dans l’espace de la scène entre le proscenium et le mur du fond, de décors (la vision est en principe cadrée et limitée en haut par le manteau d’Arlequin et sur les côtés par les pandrillons ou d’autres décors à cour et à jardin dans le théâtre traditionnel, mais, en réalité, les spectateurs du devant voient les découvertes du dessus, peuvent observer le gril, et les spectateurs qui sont sur les côtés voient d’autres découvertes sur les coulisses, etc.).

Le plateau est l’espace scénique où évoluent les acteurs et où s’implante le dispositif scénique pour le jeu. Il est situé entre les coulisses (11) (sur les cô­tés), l’arrière-scène (10) (derrière les décors ou le cy­clo), et devant le mur de fond (12) et la rampe (21) (série de lumières séparant la scène de la salle ou la fosse d’orchestre). Son avancée à la face s’appelle l’« avant-scène », et au-devant de l’avant-scène au centre se situait le « trou du souffleur », masqué, du point de vue de la salle, par une structure courbe. De la faceau lointain, le plateau est divisé en plu­sieurs plans (sortes de bandes) délimités par les rues (22) (là où sont les trappes amovibles donnant accès aux dessous de scène) et les costières (23) (entre les­quelles glissent les châssis des décors).

Les châssis suspendus (24) peuvent ainsi être maintenus par le bas (les costières), par le cintre, ou encore être fixés par béquillage ou équerrage. On peut parler, à propos des châssis centraux, de toiles, ou de toiles peintes, accrochées à des perches. C’est même là la technique scénographique la plus simple une toile peinte qui tombe du cintre et figure un lieu. Ces toiles sont donc attachées à des perches tenues par des guindes qui, à l’aide de poulies, vont se caler sur les murs à cour et à jardin. Ce dispositif permet aux toiles de monter ou de descendre à la condition que le grilsoit suffisamment haut placé (c’est la rai­son essentielle pour laquelle la cage de scène bénéfi­cie d’un dégagement vertical largement supérieur à la salle). Lorsque le gril n’est pas assez haut, on peut faire coulisserles toiles sur les côtés ou les replier (art plus difficile). Les machinistes, qui sont sur ces côtés, doivent veiller, comme des marins, à la bonne marche de la manoeuvre et, lorsque le décor change à vue, en rythme, en silence et rapidement.

 

On notera que l’espacement des châssis qui sont sur les côtés donne aux comédiens la possibilité de sortir de scène […] en passant par l’intervalle (la rue) qui les sépare. C’est donc sur ces châssis de côté que sont peints les décors qui, le cas échéant, figurent, lorsqu’ils sont successifs, une perspective complète qui donne sur la toile de fond centrale. Dans d’autres cas, les châssis sont des toiles peintes de manière plus ou moins uniforme, qui peuvent changer en fonction de l’intensité et de la coloration lumineuse qu’on leur donne (on peut alors parler de pandrillons).

En outre, on peut faire glisser sur ces cos­tières des pans (généralement de bois) ouvragés qui représentent pour le public une structure donnant sur un hors-scène (par exemple, une maison avec portes et fenêtres). On observera encore que ce lieu scénique doit être constitué d’éléments amovibles (d’où l’intérêt des costières sur lesquelles glissent les châssis par exemple) pour procéder (durant les en­tractes, durant le spectacle en faisant le noir, ou à vue) à des changements de décor pour qu’un autre espace scénique apparaisse.

De même, ce plateau devra comporter des ouvertures suffisamment lar­ges (sur les côtés mais aussi en haut) pour que des machines puissent être disposées, ou circuler (aupa­ravant tirées par des cordages, ou poussées par des machinistes cachés, ou maintenant téléguidées de la régie). Enfin, on l’a vu, on peut aussi concevoir, dans ce lieu scénique, des décors pleins, parfois troués d’ouvertures (des portes par exemple) per­mettant les entrées et les sorties. On n’en conclura pas pour autant qu’on fermera ainsi l’espace scéni­que, dans la mesure où ces décors pleins, s’ils figu­rent souvent un mur (celui d’une maison) ou un obstacle infranchissable, peuvent tout aussi bien, si le metteur en scène le souhaite, représenter une ouverture sur un monde extérieur (un ciel, un jar­din, l’océan ou tout élément abstrait ouvert).

Et, tout aussi bien, le metteur en scène pourra totale­ment dégager le plateau en n’utilisant ni châssis, ni toile de fond, ni cyclo, ce qui aura pour impact de montrer avec ostentation que la pièce est dans un théâtre et sur une scène. En faisant apparaître le mur du fond, les murs des côtés et leur machinerie (poulies, guindes, prises électriques, etc.), on dévoile alors la matérialité du théâtre, procédé auquel re­court souvent la mise en scène contemporaine pour chasser l’effet d’illusion.

 

Le cyclorama ou « cyclo » C’est une toile de fond de scène - qui masque le mur au lointain -, un écran de plan courbe et de grandes dimensions sans couture, unie, de teinte neu­tre ou claire, opaque ou translucide, destinée à rece­voir la lumière et les projections.

Sa forme de demi­-cyclindre vertical peut varier jusqu’à composer un fond aplani, mais, par extension de sens, le cyclo dé­signe maintenant tout fond tendu d’effet neutre (ou d’effet de ciel par exemple). Il donne l’atmosphère, une idée du temps qui passe (matin, midi, soir) ou du temps qu’il fait (orage, clarté, etc.), ou encore de la symbolique proposée pour la scène (rouge et violence, blancheur aveuglante...). Il peut être tendu entre deux perches ou équipé au gril, s’enrouler autour de deux tambours (comme les anciens panoramas défilants) ou enfin fixé sur un cadre rigide.

On remarquera que le cyclo, fort commode pour installer, on l’a vu, une atmosphère, et très utilisé dans la mise en scène contemporaine, est aussi une présence plastique, en particulier chez Bob Wilson qui reprend systéma­tiquement cet artifice pour le rendre, finalement, cen­tral en tant que constituant essentiel des jeux de modulations et, pour ainsi dire, de sculpture de la lu­mière qui sont aux fondements de son travail, pour qu’il colore l’oeil du spectateur et qu’une « bulle » sen­sible l’unisse à l’oeuvre scénique, dans un même effet.

 

Les dessous Il peut y avoir jusqu’à huit étages de dessous (ici il y en a cinq) (25), mais le plus souvent les théâtres sont pourvus de trois étages. Des poteaux tiennent le plancher du plateau, lui-même divisé en rues (qui peuvent donner lieu à des trappes permettant de faire sortir des objets, des décors ou des acteurs), en fausses rues entre les costières (pour le déplace­ment des châssis) et en costières qui permettent de faire glisser latéralement les décors (un chariot est parfois placé sur le plancher du premier dessous pour un maniement plus commode et relié à une poulie).

Si les dessous sont invisibles au public, cer­taines mises en scène peuvent (lorsque l’appareillage technique du théâtre le permet) laisser deviner aux spectateurs l’existence, sous le plateau, d’une pro­fondeur souterraine insoupçonnée et donc mysté­rieuse, par exemple en faisant entrer un acteur des dessous (au moyen d’un élévateur), comme le fai­sait (pour ne citer que ce seul exemple) Strehler avec le mage Alcandre au début de sa mise en scène de L’Illusion comique à l’Odéon (1984) ; les dessous ne sont alors pas montrés, mais leur existence est sug­gérée et laissée à l’imagination du spectateur, ouvrant un autre hors-scène, enfers (ceux dans lesquels peut s’enfoncer, damné, Dom Juan), antres inquiétants ou souterrains intrigants...

 

[…] De plus en plus depuis l’invention de l’électricité (aussi bien pour les machi­nes que pour la lumière), les systèmes se perfec­tionnent, donnent lieu à une précision extrême dans l’intention, et qu’enfin le recours à l’informatique et à la programmation des effets combinés (son, lumière, changements à vue, etc.) induit des possibilités impressionnantes de spectacle.

On comprendra encore que, dans ce lieu où tout est techniquement fait pour créer un effet d’illusion idéale, il est tout à fait possible de renoncer à ce principe en dénonçant, en quelque sorte, la machine­rie et en l’exposant.

[…] D’autre part, même lorsqu’elle suit complaisamment les règles techniques de l’illusion, les effets de la mise en scène traditionnelle sur le spectateur n’aboutis­sent pas forcément à la production d’un espace dra­matique illusionniste, ni à la création d’un lieu différent qui passerait pour réel. Car ce que voit aussi le spectateur, c’est peut-être parfois un autre monde, mais c’est surtout la mise en scène, autre­ment dit les efforts techniques, la perfection et la débauche des outils qui sont là pour qu’il soit trans­porté dans un ailleurs, et qu’il apprécie en consé­quence. Si bien qu’il en vient naturellement - en observant la manière dont les châssis glissent et dont ils sont peints, en appréciant la beauté et la vir­tuosité des machines et en étant saisi par la cohé­rence de l’ensemble - à juger, parfois avec plaisir et admiration, de l’intérêt de l’entreprise qui consiste à viser à la représentation d’un univers idéal à travers la mise en place objective et infiniment visible d’une technique scénographique appropriée. »

 

 

Christian Biet / Christophe Triau : 2006, Qu’est-ce que le théâtre ? folio/essai

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