Lieux scéniques au 17ème siècle
Le théâtre dans les jeux de paume
Au XVIIe siècle en France, il n'y avait presque pas de lieux spécialement dédiés au théâtre, sauf pour l'opéra inspiré par l'Italie et le théâtre de cour. Les troupes de théâtre jouaient dans des lieux empruntés comme les salles d'apparat, les cours des châteaux, les hôtels particuliers et même dans les jardins.
Dans les villes, les théâtres publics s'installaient souvent dans des jeux de paume, des bâtiments initialement destinés à des jeux de balle comme le tennis. Par exemple, à Paris, le célèbre Hôtel de Bourgogne était autrefois un jeu de paume. Transformé en théâtre, il avait des loges pour les spectateurs sur trois côtés et une scène surélevée.
En 1644, la troupe de Mondory et Le Noir transforma un autre jeu de paume, situé rue Vieille-du-Temple, en théâtre du Marais. Ce théâtre avait une scène et des loges pour les acteurs, avec un espace pour les costumes et les machines de scène.
Les héritages du Moyen-Âge:
Les décors des pièces baroques étaient souvent très élaborés avec plusieurs lieux représentés en même temps. Par exemple, le décor de la pièce "Clitophon" comprenait un temple, une prison, un jardin, une montagne, un tombeau, une mer et un demi-vaisseau. Les scènes étaient compartimentées pour montrer différents lieux de l'action, un peu comme des décors médiévaux appelés "mansions".
Les décors des pièces de théâtre étaient souvent représentés par des éléments partiels qui symbolisaient un lieu complet grâce à un procédé rhétorique appelé "synecdoque". Par exemple, une partie de jardin pouvait représenter un jardin entier.
Les acteurs et leur discours étaient essentiels pour situer l'action, car les compartiments sur scène étaient trop petits pour jouer toute une scène. Les changements de lieu étaient marqués par les acteurs qui se déplaçaient d'un compartiment à un autre, transformant ainsi l'espace central pour chaque scène.
Une forme hybride, qui emprunte des éléments à la Renaissance italienne
Certaines parties de la scène étaient prolongées par des balustrades, qui définissaient de nouveaux espaces et pouvaient également cacher l'éclairage. Ce type de décor, appelé "décor à compartiments", mélangeait des éléments du théâtre médiéval et de l'illusionnisme italien.
Les décors à compartiments offraient une perspective ordonnée et des fragments distincts représentants plusieurs lieux simultanément. Cette organisation donnait l'impression de profondeur et permettait aux acteurs de bouger dans l'ensemble de l'espace de jeu.
Cette approche se distinguait du théâtre italien par l'absence d'un point de fuite unique et par une perspective plus flexible, permettant une interaction plus étroite entre les acteurs et les spectateurs. On trouvait également certains spectateurs installés sur la scène elle-même, témoignant de l'importance réduite de la séparation scène-salle.
La scénographie italienne en France au XVIe siècle
Vers le XVIe siècle, la France a commencé à adopter des éléments de la scénographie italienne pour ses spectacles. Ce style est particulièrement utilisé pour les grandes fêtes royales, les opéras et les pièces avec effets spéciaux appelées "pièces à machines". Des scénographes italiens renommés comme Torelli et Gaspare Vigarani ont contribué à cette évolution.
Les emprunts au modèle italien La scénographie italienne était un outil de centralisation du pouvoir royal, sous Louis XIII et Louis XIV. La scène italienne était conçue pour les princes, en créant une illusion visuelle où l'espace représenté sur scène correspondait à un ordre idéalisé du monde réel, centré autour du point de vue du prince.
Les fêtes et les pièces à machines En France, les grandes fêtes royales mettent en avant la figure du roi comme centre de l'espace de représentation. Contrairement aux scènes italiennes où la présence du prince était implicite, en France, le roi était souvent représenté sur les gravures des décors, soulignant son rôle central.
Les "pièces à machines" étaient des spectacles nécessitant des changements de décor impressionnants, comme les tragi-comédies, les comédies-ballets et les opéras. Ces pièces utilisaient des dispositifs complexes pour créer des apparitions spectaculaires, des disparitions inquiétantes et des vols de personnages mythologiques. Torelli, par exemple, était surnommé "le grand sorcier-magicien" pour ses talents en machinerie.
Adaptation à la France En France, l'adoption de la scénographie italienne a été unique. Contrairement aux formes courbes des théâtres italiens, les salles de spectacle en France gardaient une disposition rectangulaire jusqu'à environ 1690. Des exemples incluent le théâtre du Palais-Cardinal de Richelieu et la salle des machines aux Tuileries.
Les spectateurs sur la scène au théâtre au XVIIe siècle
En France, au XVIIe siècle, il n’y avait pas une distinction très claire entre la réalité et la représentation théâtrale, contrairement au théâtre italien de l'époque. En 1637, lors de la première représentation de "Le Cid" de Corneille par la troupe de Mondory, le succès était tel que les spectateurs affluaient. Pour éviter une émeute, Mondory a décidé de vendre des places sur la scène elle-même, à gauche (cour) et à droite (jardin). Ces spectateurs, souvent riches, se donnaient en spectacle en même temps que les acteurs. Cette pratique s’est ensuite étendue à d’autres théâtres en France et a duré jusqu’en 1759.
Dans le théâtre français de l'époque, les spectateurs ne venaient pas seulement pour voir les décors illusionnistes, mais aussi pour écouter la performance des acteurs. Les acteurs, comme les comédiens élisabéthains ou espagnols, prenaient en compte tout l'espace autour d'eux. Ils pouvaient même jouer de dos et être compris par le public. Ainsi, le théâtre s'adaptait à la présence de spectateurs sur scène, créant une expérience unique et immersive.
Symétrie rigoureuse dans les décors de théâtre au XVIIe siècle
Au XVIIe siècle, les décors des pièces à machines en France étaient souvent organisés avec une symétrie rigoureuse. Par exemple, les décors de la pièce "Andromède" de Corneille, jouée en 1650, étaient très symétriques, comme le montrent les gravures de l'époque.
Les décors d'Andromède étaient en fait une réutilisation adaptée des décors italiens de Torelli pour "Orfeo". Les critiques trouvant les décors trop italiens ont conduit à des modifications, rendant les décors symétriques et réduisant les lignes courbes. Par exemple, le jardin du second acte avait des végétations taillées et alignées pour souligner l’architecture.
Même les "rochers affreux" du troisième acte étaient organisés en symétrie, montrant un agencement plus artistique que naturel. La symétrie se retrouvait également dans le temple du cinquième acte, avec des colonnes et des portiques alignés, créant une illusion de continuité.
Cette symétrie reflétait l'ordre et la stabilité du pouvoir royal de l'époque, notamment sous Louis XIV. Les décors symétriques étaient en harmonie avec l'architecture, les jardins, et les villes construites par Louis XIV, symbolisant le pouvoir centralisé de la monarchie absolue.
Le "palais à volonté" : une "fiction de théâtre" au XVIIe siècle
Après la querelle du Cid (1637-1638), il y a eu des discussions pour définir des règles que les pièces de théâtre devaient suivre. Cela a donné naissance à la tragédie "régulière" ou classique, où les actions devaient paraître vraisemblables et respecter les trois unités de lieu, de temps et d'action. Le "palais à volonté" est un espace fictif où se déroule l'action de la tragédie, qui représente un lieu générique afin de respecter l'unité de lieu.
Ces règles de vraisemblance et de bienséance signifiaient que le décor devait sembler réel et naturel, permettant au public de passer du sens propre au sens figuré. Le "palais à volonté" est conçu pour permettre aux actions tragiques de se dérouler dans plusieurs lieux sans changer de décor. Ce décor n'est pas une copie exacte d'un palais réel, mais plutôt une représentation fictive pour porter la parole et l'action.
Les auteurs comme Racine et Corneille ont adapté cette notion en créant des décors polysémiques et minimaux, utilisant des éléments architecturaux pour indiquer différents lieux de l'action. La parole des acteurs joue un rôle crucial pour situer les scènes, comme dans le théâtre médiéval ou baroque.
Ce concept permettait de garder l’attention sur l’action et les dialogues, rendant possible la représentation de lieux multiples tout en maintenant une illusion réaliste pour le spectateur.
Au XVIIe siècle en France, on a inventé diverses formes de scénographies, un peu comme on crée des architectures composites en mélangeant différents styles antiques. En s'inspirant des grands styles classiques et en les réinterprétant, les créateurs français ont conçu plusieurs types de décors pour le théâtre.
Ces scénographies nécessitaient souvent que le public utilise son imagination pour passer du sens littéral du décor à son sens figuré. Plutôt que de reproduire fidèlement la réalité, ces décors représentaient de manière poétique et symbolique les lieux et les actions des pièces. La mimèsis, ou imitation de la réalité, fonctionnait davantage par transposition artistique que par reproduction exacte.
Anne Surgers : Scénographies du théâtre occidental
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